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— Comment ça ?…

— Pac’ que j’ai été la r’garder !…

Et elle conclut :

— Moi d’abord, j’aime c’qui est joli ! et Florine était très jolie… très, très !…

Deux grosses larmes glissèrent, brillantes et rapides, sans laisser de traces sur les joues de Miche.

— Pauv’ gosse !… — fit tendrement Jean, tandis que Simone demeurait honteuse d’avoir provoqué ce désespoir silencieux et profond — pauv’ gosse !…

Et le garde champêtre déclara :

— Alle a raison d’pleurer… car la Florine était un’ bonne mère, pour c’qu’est d’ça !… Ah ! mais qu’oui !… la p’tite était toujou lavée, gratitée comme un sou neuf… et bien habillée proprement… et qu’c’était pourtant la misère chez alle… la noire misère, comme c’est qu’on dit !…

Et regardant la comtesse, l’homme ajouta timidement :

— Même qu’y a p’t’être déjà du temps qu’la p’tite n’a mangé ?… As-tu point faim, la gosse ?…

— Oui !… — fit brièvement Miche.

Pour la seconde fois, M. Guillemet osa parler :

— Et elle regarde la table servie, les gâteaux, les fruits, sans témoigner aucune avidité… aucune gourmandise.

— J’suis point gourmande !… Miche avec gravité.

Jean s’approcha d’elle avec une assiette de biscuits :

— Depuis quelle heure n’as-tu pas mangé ?

— J’crois — balbutia l’enfant, qui semblait chercher dans son souvenir — qu’jai core trouvé hier matin un’ croûte…

— Hier matin ! — dit le marquis consterné — mais elle doit mourir de faim, la pauvre petite !…

Miche avait pris un biscuit et le mangeait sans voracité, d’un air triste. Jean voulait lui donner d’autres gâteaux, mais sa mère l’en empêcha.

— Je vais lui faire donner une soupe au lait… ça vaudra mieux. Viens, Miche !…

La petite fille, qui s’en allait déjà en donnant la main à la comtesse, s’arrêta, tournant la tête, et demanda avec regret :

— Tu viens pas, toi, Jean, dis ?…

Le marquis d’Erdéval bondit :

— Je te défends, tu entends, de tutoyer mon petit-fils !… et de l’appeler par son nom !… :

En voyant Miche rougir, terrifiée, Jean supplia :

— Oh ! grand-père !… elle est si petite !… elle ne sait pas !…

— Eh bien, elle apprendra !…

— Viens !… — dit la comtesse en entraianant la petite fille — viens déjeuner, Miche ?

Miche répondit, en trottinant derrière elle suivie de Jean :

— J’aimerais mieux aller voir m’man !…


Quand ils furent sortis, M. d’Erdéval remercia son père du plaisir qu’il voulait bien faire aux enfants.

— Tu n’as pas à me remercier. — dit le marquis — depuis que j’ai vu cette petite, je ne regrette plus de l’avoir prise… Elle est ravissante et forte comme un petit Turc, et elle a l’air très intelligent… Je suis sûr que, d’ici à deux ou trois ans, elle rendra de petits services dans la maison ?…

— Tant mieux, papa, que Miche ne vous agace pas trop ! les enfants ont si fort insisté pour vous la faire prendre que je craignais…

— Tu n’as rien à craindre du tout !… Fais-moi seulement l’amitié de t’arranger pour que cette petite paysanne garde la distance qu’elle doit garder avec tes enfants ?…

Et comme Olivier souriait, narquois, son grand-père s’adressa directement à lui :

— Oui… je n’ai pas, moi, les idées égalitaires de ton père… je…

— Permettez !.. — dit en riant M. d’Erdéval — je n’ai pas les idées que vous dites.

— Venez-vous jouer au cochonnet ?… — proposa prudemment le précepteur en emmenant Olivier et Jacques, tandis que Mme Devilliers sortait avec Simone, en disant :

— Allons voir la petite fille !…

— Je t’ai entendu dire cent fois… — commença le marquis lorsqu’il se trouva seul en face de son fils — que tu es démocrate et égalitaire.

— Ah ! mais non ! j’ai dit démocrate et autoritaire… ce qui n’a aucun rapport.

— Pourtant, tu crois…

— Je crois… à tort ou à raison… que le peuple a quelques droits qu’on lui refusait jadis… Je lui voudrais un gouvernement qu’il acceptât et qui fût à poigne… très à poigne… Je suis impérialiste, c’est entendu… donc démocrate… mais égalitaire ?… jamais !… Vouloir l’égalité, ou intellectuelle, ou politique, ou sociale, c’est-à-dire l’impossibilité absolue… Mais il faudrait être idiot !…

— Cependant… puisque tu crois à la race… car tu y crois, n’est-ce pas ?…

— J’y crois !…

— Alors, comment ne crois-tu pas que ta race est au-dessus des autres ?…

— Je la crois différente des autres, et non pas au-dessus. Pour moi, il en est des hommes comme des chevaux… nous sommes incontestablement des pur sang… mais parmi