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non sans effroi, du méprisant courroux avec lequel la jeune bourgeoise lui avait reproché d’oser lever sur elle ses yeux de simple pion ! À cette fille riche, belle, de grande maison, il avait dit franchement, crûment, qu’il l’adorait, et pour lui répondre elle n’avait eu que d’affectueuses et douces paroles, qui décourageaient sans blesser. Et puis, il s’attristait sur lui-même, croyant bien que sa vie traversée par cet amour impossible, était troublée pour toujours.

Comment espérer, après avoir connu et aimé une femme comme mademoiselle de Courtaix, pouvoir aimer jamais la femme qu’il serait à même d’épouser ? Et le pauvre garçon qui, trois semaines plus tôt, rêvait parfois d’un petit intérieur propret, tenu par une femme fraîche, insignifiante et modeste, se voyait à présent condamné à perpétuité au garni écœurant dans lequel il crèverait quelque jour entouré des photographies de Bijou, arrachées à grand’peine à Pierrot.

Au début du dîner, Denyse parla peu. Elle regardait d’un air distrait la table, et découvrait ces mille riens si amusants pour qui sait voir. Madame de Bracieux avait à sa droite M. de La Balue, qu’elle négligeait pour son vieil ami Clagny placé à sa gauche, avec qui elle ne cessait guère de causer. M. de Jonzac, assis en face de sa sœur, entre madame de la Balue et madame de Tourville, semblait modérément s’amuser, non plus que madame de Nézel qui, l’air un peu triste, répondait distraitement à ses voisins Henry de Bracieux et M. de