La Bretagne était pour moi une terre de féérie : vous en avez fait une terre vivante et aimée. Je vous dis ma profonde reconnaissance pour m’y avoir attiré. Je rougissais de n’avoir pas, au cours d’une vie déjà longue, vu ce pays qu’on n’oublie pas dès qu’on l’a regardé, qui nous remplit l’âme de sa poésie mélancolique, et qu’il faut connaître de près, ainsi que ses habitants, pour comprendre ce qu’il a produit. Si, d’une part, il a bien réalisé, par ses aspects et par ses monuments, l’idée que je m’en faisais de loin, il me réservait, d’autre part, dans la fête d’aujourd’hui, une de ces surprises dont il est coutumier.
La Bretagne est, en effet, le pays des surprises. Elle est taciturne, et ne livre pas facilement ses secrets. Elle ressemble à. une grande nappe d’eau tranquille fi. la surface, mais da.ns les profondeurs de laquelle des sources frémissantes s’échappent sous terre et vont au loin féconder les plaines et produire de majestueux cours d’eau. Depuis l’arrivée dans la péninsule armoricaine des immigrants venus de la grande ile celtique jusqu’au seixieme siècle, la Bretagne semble tout a fait muette : pas un poème, pas un écrit en langue bretonne ne s’oll’i-e ai. nous pendant mille ans, et cependant, c’est l’époque ou l’action de l’esprit breton sur le monde a été la plus merveilleuse. On dispute aujourd’hui avec passion en
France, en Angleterre, en Allemagne, pour savoir si la poésie arthurienne, — qui, sous tant de rapports, est la mère de la poésie moderne, — est d’origine continentale ou insulaire xcela n’est, au point de vue ou nous nous plaçonsaujourd’hui, que de peu d’importanec ; qu’ils fussent nés dans votre province on dans les régions restées celtiques de l’Angleterre, les conteurs et les chanteurs bretons qui promenèrent dans le monde féodal le charme aussi nouveau qu’en chanteur de leur poésie et de leur musique étaient des Bretons : recueillis par les Français ou par les Anglo-Normands, les (ais Zwetoics ont tous-le même caractère, la même profondeur de sentiment, les mêmes données merveilleuses, la même inspiration à la fois tendre et idéale, la même nostalgie d’un bonheur surhumain, la même exaltation d’amour, la même union intime avec la nature.
La Bretagne armoricaine a certainement eu sa grande part dans cette éblouissante révélation d’une poésie nouvelle, et cependant, je le répète, nous ne le savons que parle témoignage des peuples à qui elle l’a communiquée. Direetenient, nous n’avons d’elle, pendant tout le moyenage, aucune manifestation de cette poésie qu’elle apprenait aux autres, et il a fallu attendre des siècles