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La plupart des ingénieurs se rouillent, comme les officiers en garnison. N’ayant rien à faire, ou n’ayant à remplir que des fonctions insignifiantes, ils s’abrutissent : ils se marient, se font leur petite vie, se donnent leurs petites habitudes et prennent des plaisirs en proportion du temps qu’ils ont passé, enfoncés dans les mathématiques jusqu’au cou. Ils ne manquent pas un bal du préfet ni du receveur général. Ils tracassent leurs employés ; n’ayant nulle émulation, n’étant excités par rien, ils oublient ce qu’ils ont pu apprendre.

Je connais un brave ingénieur en chef qui passe sa vie à préparer un ouvrage sur les voies romaines. Voici comment il le prépare. Un des employés de son bureau, jeune homme fort instruit et fort capable, mais qui, n’étant pas sorti de l’École polytechnique, ne pourra jamais franchir la modeste condition dans laquelle il est entré, emploie le temps qui lui est payé par le gouvernement à courir à droite et à gauche, toujours aux frais du gouvernement, pour amasser les matériaux de cet ouvrage ; puis revient, les coordonne et les remet à son ingénieur en chef. Celui-ci les prend, les lit, ne les comprend pas toujours, et les transmet alors aux employés de son bureau afin qu’ils les recopient en magnifique écriture, avec entêtes en lettres romaines, notes en italique et titres en gothique. Quand l’ouvrage sera fini, il y mettra son nom et s’imaginera l’avoir fait.

Et voilà comment les choses se passent ! et voilà comment les fonds de l’État sont dilapidés ! et voilà comment nous sommes écrasés sous les impôts ! et voilà comment notre richesse publique reste stationnaire et pourquoi nous nous traînons à la remorque de l’Angleterre !

Pourquoi conserver une administration qui rapporte de semblables fruits, une machine qui produit des effets d’une telle valeur ? Pourquoi ne pas la supprimer ?

Qu’on mette au concours les grands travaux à exécuter ;