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les Sancho Pança, le laid dans la nature humaine ; et il vaut mieux, croyez-moi bien, être Don Quichotte, chercher la justice partout , dût-on s’escrimer parfois contre des moulins à vent, secourir tous les malheurs et briser toutes les tyrannies, recevoir toutes les ignominies, toutes les railleries, tous les outrages, être abreuvé de toutes les amertumes, être roué de coups, être broyé par toutes les forces brutales, que de se plonger tranquillement dans un lit de plumes bien douillet, de se retrancher du mouvement humain dans un égoïsrae bien claquemuré, contre toutes les folles idées qui pourraient faire battre le cœur ou bouillonner le cerveau, que de devenir un homme d’expérience.

Les hommes d’expérience ! que de cerveaux ils brisent ! que de flammes ils éteignent ! que de généreux élans ils arrêtent ! que de battements de cœur ils compriment !

C’étaient des hommes d’expérience qui disaient à Bernard Palissy, quand celui-ci avait déjà le cœur brisé par les gémissements de sa femme et de ses enfants :

« Il lui appartient bien de mourir de faim, parce qu’il délaisse son mestier. »

C’était d’eux qu’il « ne recevoit que honte et confusion, n en retirant sa fournée.

C’étaient eux qui le traitaient « de fol » parce qu’il avait brisé ses émaux manques, tandis que s’il avait voulu les vendre, il en eût eu « plus de huit francs. »

C’était deux qu’il pouvait dire : « J’estois méprisé et moequé de tous. »

Ils le méprisaient ! ils le raillaient dans leur sagesse : et cependant lui était le grand homme et eux étaient des imbéciles ! Oh ! le pouvoir de la bêtise !

Pouvoir si grand, que parfois l’inventeur le subit et, mettant la tête dans ses mains, se dit :

— Allons ! encore un qui vient traiter mes idées de folies !... Serait-ce donc vrai ?... Tout !e temps que j’ai dépensé à mes travaux, toutes les souffrances que j’ai subies,