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dominés par une foi ardente ; sinon, ils sauraient que la foi éteint la douleur dans le corps et la crainte dans le cœur.

Mais leur foi, à eux, à tous ces malheureux qui se font broyer par le char, est une foi étroite : ils ne se tuent que dans l’espoir d’une autre vie plus heureuse ; leur mort est égoïste.

L’inventeur se jette sous les roues d’un char ; mais ce n’est pas dans le vain espoir d’une autre vie : s’il se fait broyer, c’est pour faire avancer la machine humaine.

En avant ! en avant ! qu’il meure, mais qu’il réussisse ! que rien ne l’arrête ! qu’il s’attende à tout souffrir, mais qu’il marche ! Il donnera pour réussir sa vie dans ce monde et son salut dans l’autre ; quand épuisé par le travail, il désespérera, il appellera, comme Faust, Méphistophelès à son secours.

Quelle lutte que celle de l’inventeur, lutte contre sa pensée, contre les obstacles matériels que présente la réalisation de son idée et le plus souvent encore contre la misère ! Il est seul, et s’il abaisse un moment son orgueil, pour demander un morceau de pain moins encore pour lui que pour son œuvre, on lui répond ce qu’on disait à Bernard de Palissy : « 11 lui appartient bien de mourir de faim, parce qu’il délaisse son métier. » Mais évidemment et bien fou celui qui s’en étonnerait 1 pourquoi délaisse-t-il son métier, cet insensé ? Il pourrait vivre heureux et gagner de l’argent ! Oui, oui, c’est un fou, il est indigne de toute pitié, on ne doit pas le secourir. Qu’il crève comme un chien ! ce sera bien fait ! Et un cri de réprobation unanime s’élève ! Mais, ne pourrait-il pas, disent les modérés, ne se livrer à sa folie que le dimanche ! au lieu d’aller au café comme les uns, pécher à la ligne comme les autres, il pourrait s’occuper de sa toquade ; mais au moins qu’il travaille le reste de la semaine !

C’est cela : ces bonnes gens veulent qu’on soit inventeur