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nous connaissons sa force. La société antique l’ignorait complètement : ses philosophes, perdus dans les nuages d’une philosophie ergoteuse reposant sur des phénomènes mal observés et mal interprétés, même quand elle est le plus intimement liée à la nature, comme l’épicurisme et le péripatétisme ; ses citoyens absorbés tout entiers par les préoccupations de la vie politique, les luttes de l’Agora et du Forum, le noble métier des armes, dédaignaient souverainement l’artisan, méprisaient même certains métiers, — les tanneurs, par exemple, — regardaient le travail comme chose vile, soin d’esclave, et l’abandonnaient à un être ni bête ni homme, chargé de pourvoir aux besoins de la vraie société. C’était fort juste. Le travail étant le devoir, le besoin étant le droit, l’Athénien, le Spartiate ou le Romain, peuples vainqueurs, peuples forts, s’arrogèrent le droit et imposèrent le devoir au vaincu.

Aussi l’industrie n’existait-elle réellement pas : cette mère nourrice était moins que la courtisane Laïs ou l’impératrice Messaline. Au lieu d’avoir ses palais au milieu de Rome, elle était condamnée à habiter quelque humble échoppe ou une bouche d’égout. Elle était reléguée au dernier rang, regardée comme infâme, et son seul contact était une souillure.

Elle ne devait pas se relever au milieu de l’invasion des barbares ; elle devait encore moins se relever sous l’influence de l’esprit catholique et aristocratique qui dominait le moyen âge. Le caractère entièrement spiritualiste du catholicisme rejetait toute préoccupation matérielle : il chassait Pan pour le remplacer par une divinité étrangère. S’il soulageait le pauvre, s’il affranchissait l’esclave, il créait