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celles que nous répètent tous les gouvernants et tous les satisfaits. En vain leur montre-t-on quelque plaie béante, hideuse, gangrenée, ils répondent sans s’émouvoir : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possible. »

Nous nous permettrons de n’être pas de l’avis de ces médecins Tant Mieux. Qu’ils nous prouvent tout d’abord qu’il n’y a plus de misères à soulager, de chancres à extirper, de douleurs à guérir, et alors nous pourrons nous montrer joyeux. Sans doute, le sort de l’inventeur s’est amélioré depuis la Révolution ; mais le sort de l’ouvrier s’est aussi amélioré, le gouvernement aussi s’est amélioré. Est-ce à dire pour cela que tout soit fait et que nous pouvons nous reposer ? Je crois que nous aurions tort de nous endormir dans une sécurité trompeuse avant que l’état social soit arrivé à la perfection absolue. « Il n’y a rien de fait, disait César, tant qu’il reste quelque chose à faire. »

Du reste, la cause de l’inventeur n’est pas une cause isolée : elle est celle de toutes les énergies brisées, broyées par les puissances tyranniques de notre organisation sociale. Dans notre société étroite où la place de chacun est numérotée comme la case d’un bureau, où la caste égyptienne vit encore avec son odieux despotisme, où tout semble arrangé pour comprimer les forces de l’individu, où l’air et la lumière sont parcimonieusement distribués à chacun, où on craint les Hercules, où on a peur des Titans, où on ne veut que des pygmées inoffensifs, malheur à celui qui, se sentant plein de force et de vie, essaye de briser les entraves qui le retiennent et veut prendre une autre route que le sentier de la routine ! Notre société est effrayée par les hommes forts et essaye de les amoindrir autant que pos-