Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/88

Cette page a été validée par deux contributeurs.

devant de lui, cela me faisait trop souffrir. Je croyais que ma lettre n’était pas parvenue et je n’attendais plus de réponse.

Tout à coup, Hermann accourt en tenant une lettre :

« Pleffel, Pleffel, voilà une heure qu’on vous cherche : une lettre pour vous ! »

Dire ce que je ressentis en entendant ces mots serait impossible : je tournoyais comme un homme ivre, je portais la lettre à mes lèvres, je la retournais en tous sens, lisant et relisant l’adresse : ce n’était pas l’écriture de ma mère.

Enfin je l’ouvris en tremblant et je cachai précieusement une petite fleur de géranium, placée entre les deux feuillets, tandis que je lisais, tout ému :


Daspich, 21 décembre, 70.

  Mon cher Christian,

« Je t’écris moi-même parce que ta bonne mère est au lit, toujours souffrante.

Nous avons reçu ta lettre ce matin : elle a été bien longtemps en route et nous étions tristes, fort tristes de ne pas savoir où les Prussiens t’avaient emmené.

Je suis près du lit de ta mère : je ne la quitte pas d’une minute et quand elle n’est pas trop fatiguée, nous parlons de toi. En tous cas, nous ne cessons pas d’avoir notre pensée, là-bas, avec toi, à Coblentz.

Le bon docteur Zachariœ, l’ami de ton père, vient tous les jours : il a dit qu’il fallait pour sauver ta mère, du bonheur, que c’était le seul remède.

Aussi la joie qu’elle a eue, en recevant ta lettre, lui a rendu quelques forces. Elle veut se lever pour reprendre le grand air et puis nous irons à Coblentz, te voir. Cette idée, qu’elle a depuis qu’elle sait que tu es dans cette ville, la rend plus gaie et moi je suis bien contente aussi.