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— Merci, mon brave Kuntz, le mien aussi a été brûlé à la caserne, mais il y a un tailleur au bout de la rue : restez ici quelques instants, j’y cours. »

Je sortis, mais, en ce moment, les Prussiens ramassaient dans les rues les traînards, qui n’avaient pas rejoint le reste de la troupe française. En voyant venir une trentaine de soldats français conduits par des uhlans, je voulus retourner, mais deux ou trois cavaliers me poursuivirent et me forcèrent de rejoindre les autres.

J’étais donc pris : il fallait renoncer à la lueur d’espérance qui m’avait ranimé un instant ! Il fallait abandonner ma mère, que je ne reverrais peut-être plus !

Je repassai devant la pharmacie : je vis M. Frank qui me regardait avec de grands yeux troubles, pendant que Kuntz montrait le poing aux uhlans et soutenait ma pauvre Wilhelmine évanouie ! Je leur lançai de loin un triste adieu et nous fûmes bientôt hors de la ville, massés dans les champs près de la route, en attendant le départ pour la Prusse !


XVIII

Il faut que l’homme soit bien fort pour résister aux émotions, aux douleurs morales qui viennent parfois l’accabler.

Je ne sais comment j’ai pu conserver ma raison au milieu de tant d’événements cruels ! Il m’était impossible d’arracher mes regards de cette plaine désolée, où ma mère se mourait, appelant son pauvre Christian, où Wilhelmine, heureuse un instant d’une douce espérance, m’avait vu entraîner par les Prussiens !

Pauvres parents et amis, pauvre maison, vous reverrai-je encore ? À quoi avait servi mon dévoue-