Page:Guyon - Histoire d’un annexé (souvenirs de 1870-1871).djvu/82

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quelques mobiles, exaltés par la honte et la douleur, voulaient mettre le feu aux poudrières et faire sauter la ville. Effrayée par cette nouvelle menace, la population sortait par les portes, qui venaient de s’ouvrir. C’était partout des cris, des lamentations !

Les soldats avaient l’ordre de se masser près de la porte de Trèves, pour déposer les armes et de là être emmenés en Allemagne.

Je voulus, avant de partir, donner quelques mots à Kuntz pour ma mère et ma fiancée. Comme je courais chez lui, sautant au-dessus des décombres tout chauds qui remplissaient la rue, je m’entends appeler ; c’est M. Frank avec Wilhelmine !

Je tombe dans leurs bras sans pouvoir dire une seule parole et je les entraîne dans la boutique de mon ami Kuntz ! Sa maison, quoique plusieurs fois ébranlée, était encore assez droite, et il put nous donner un petit coin pour causer.

Wilhelmine avait les yeux gonflés de larmes, le père Frank était pâle comme un mort, lui ordinairement si rose.

« Et ma pauvre mère, demandai-je, vous ne me parlez pas d’elle.

— Ah ! elle a été bien effrayée de tout ce qu’elle a vu et elle est au lit, malade de chagrin et affaiblie par tant d’émotions !

— Elle est malade ! je l’ai bien pensé quand je vous ai vus seuls ! Pauvre mère !

— Dès que nous avons appris la nouvelle de la capitulation, reprit le père Frank, elle m’a dit de courir, de savoir ce que tu étais devenu et de te ramener, si je le pouvais : elle t’attend !

— Eh bien, je vais essayer de trouver un vêtement civil et nous tâcherons de gagner Daspich.

— Si tous les miens n’avaient pas été brûlés, je vous en aurais offert un, me dit Kuntz, mais je n’ai plus que ce que je porte sur moi.