Mais vers le soir, les morts étaient nombreux, les canons étaient brisés, et l’on n’entendait plus que le sifflement des obus ennemis dans les rues et le sourd grondement des canons lointains.
Le feu qui avait pris à plusieurs maisons éclairait le ciel d’une lueur sinistre et chacun se sauvait dans les caves pour échapper à la mort. Je courais dans les rues, avec les soldats et les pompiers, pour porter secours aux victimes de cette affreuse destruction : nous suivions les murs, tandis que les cheminées se brisaient à nos côtés et que les éclats des bombes voltigeaient sur nos têtes.
Que devaient penser, en ce moment, ma mère et Wilhelmine ? Sans doute qu’elles regardaient épouvantées ces flammes rouges qui s’élevaient dans les airs. Elles me croyaient peut-être enseveli dans ce désastre !
Qui savait ce que nous allions devenir ? Toute la ville n’allait-elle pas périr écrasée sous cette pluie de feu, ou brûlée sans que personne pût s’échapper !
Pendant deux jours, les obus ne cessèrent de tomber et tour à tour, l’église, l’hôtel de ville, la sous-préfecture, les casernes, des rues entières s’affaissèrent en noirs monceaux de pierres fumantes !
Enfin il fallut hisser le drapeau blanc : Thionville n’existait plus, et les Prussiens allaient posséder un tombeau : belle gloire d’entrer triomphants au milieu de ruines, d’entendre les cris des blessés, les pleurs des orphelins, et de dire : C’est nous qui avons fait cela !
Le matin du 25 novembre, ils devaient occuper la ville et 4 000 hommes de plus allaient se voir enlever à la France et emmener en Prusse.
La ville était dans un désordre affreux : les habitants sortaient des caves, chacun voulait reconnaître sa maison, elle n’existait plus ! On se comptait, beaucoup manquaient à l’appel.