gros clocher carré ? C’est celui de Sainte-Barbe : on le voit de cinq ou six lieues à la ronde.
Évitez d’aller vers la gauche, parce que le pays est rempli de postes prussiens : c’est le champ de bataille de Borny. Une grande bataille a eu lieu là, le 14 août. En cet endroit même où nous marchons, il y a quelques jours, les balles et les boulets tombaient comme la grêle, et la terre était couverte de morts et de blessés.
Regardez à gauche : vous verrez Laquenexy, Colombey, à 3 kilomètres, c’est là que se trouvaient les troupes prussiennes ; un peu plus loin, Borny, sur un plateau : là étaient les Français. Comme ce pauvre pays, si vert, si gai autrefois, est désert et triste aujourd’hui ! Partout des fermes brûlées, des arbres brisés, des villages ruinés !
Voilà l’œuvre de la guerre ! Voilà ce que peut causer l’ambition d’un seul homme. »
Le vieillard ne pouvait s’arracher à ce spectacle désolant. Cependant il me prit la main et la serra fortement :
« Adieu, dit-il.
— Non, au revoir, car je ne vous oublierai pas et je reviendrai vous remercier plus tard[1]. »
Il était déjà loin qu’il me fit encore un dernier salut. Plus tard ! J’avais dit : plus tard ! Et je le croyais ! Ah ! je ne pensais guère que, plus tard, il faudrait s’exiler, sans oser revenir près de ceux qu’on aime ! Je ne pensais guère que mon pays serait séparé de la France qu’il aime tant !
Je disais : plus tard ! parce que je croyais à la victoire : j’étais plein d’espoir, comme tous les Lorrains, et ce n’est qu’à la dernière minute que j’ai compris tout notre malheur !
Ce qui n’empêche pas qu’aujourd’hui j’espère plus que jamais !
- ↑ Malgré mes recherches, je n’ai pu retrouver cette noble et brave famille. Puisse ce souvenir parvenir jusqu’à elle.