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voilà déjà trois chevaux qu’ils me prennent. Je n’ai plus que celui-ci.

— Et sans vous, me dit une de mes nouvelles connaissances, notre vache aurait été prise. Vous viendrez à la maison vous reposer et manger, si le cœur vous en dit.

— Ma bonne femme, je ne me ferai pas prier, car j’ai bon appétit et surtout sommeil. Mais comment sortir du bois ?

— Suivez-nous. »

La troupe s’ébranla : quelques hommes restèrent pour garder les animaux. Je marchais à la suite de tout le monde.

Le ravin nous conduisit, après une pénible et longue marche, sur les cailloux aigus et les épines entrelacées, hors de la forêt et à l’entrée d’un village.

Chacun se glissa chez soi en silence, après avoir serré la main de son voisin. Pour moi, j’entrai avec mes compagnes dans l’une des premières maisons. Reçu parfaitement par le maître du logis, je mangeai quelques œufs, je bus un verre de vin, grand régal que je n’aurais jamais osé espérer, et j’allai me coucher dans un bon lit d’une chambre propre et coquette pour un village.

Dès que je fus seul, je songeai à mon sac de voyage, que j’avais jeté derrière les buissons, près de la route. Il contenait mes papiers, quelques vêtements et mon sauf-conduit.

Je tremblais qu’il n’eût été trouvé par quelque Prussien. Je me promis donc de retourner sur le chemin, le long du bois, dès l’apparition du jour ; ce qui ne devait pas tarder, car il était deux heures du matin, et je me couchai.

Je ne sais depuis combien de temps je dormais, lorsque je fus éveillé en sursaut par un fracas extraordinaire : c’étaient des portes qui se fermaient avec violence, des sabres qu’on traînait sur le plancher, des voix qui grondaient.