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« Mon pauvre Christian ! »

Et ses bras tremblaient en me serrant, il ne pouvait en dire plus.

Je reconnus Louis Karcher, le fils d’un fermier de Daspich, un ami de collège, qui s’était engagé l’année précédente.

Je l’avais vu si rose, si frais ! Et il était si maigri par la souffrance, que je ne l’aurais jamais reconnu sous sa longue capote déchirée par la lutte qu’il avait dû soutenir. Car il était brave, et il avait dû bien se battre avant d’être là !

Je voulus lui parler, mais une main brutale le repoussa dans les rangs des prisonniers.

« Console mon père, si tu le vois, me cria-t-il. Dis-lui que je serai courageux jusqu’au bout. »

Je ne pouvais répondre, mais je lui fis signe de la tête et il disparut peut-être un peu consolé.

Cette pénible rencontre m’avait plongé dans une profonde tristesse, et il fallut toute ma fatigue et ma faim aiguë, pour me rappeler que je n’avais encore aucun asile.

Mais ce fut en vain que je me présentai dans plusieurs auberges ; partout on me répondait :

« Nous n’avons rien à vous donner, et toutes les chambres sont occupées par les Allemands. »

Peut-être me prenait-on pour un de ces bohémiens dont j’ai parlé et qui suivaient l’armée. Il est vrai que la poussière couvrait mes vêtements et ma figure était inondée de sueur. Aussi me recevait-on partout avec défiance, et quand je disais qui j’étais, on me jurait que la maison était sans une bouchée de pain.

Ces pauvres gens étaient devenus méfiants à cause des nombreux vols commis chez eux par les convoyeurs allemands. Pont-à-Mousson avait aussi été une des premières villes occupées, et même les Prussiens y avaient éprouvé un échec assez grave.

Le 12 août, des dragons et des hussards prussiens