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un jour où tout plaisir serait beau, où toute action agréable serait artistique. Nous ressemblerions alors à ces instruments d’une si ample sonorité qu’on ne les peut toucher sans en tirer un son d’une valeur musicale : le plus léger choc nous ferait résonner jusque dans les profondeurs de notre vie morale. À l’origine de l’évolution esthétique, chez les êtres inférieurs, la sensation agréable reste grossière et toute sensuehe ; elle ne rencontre pas un milieu intellectuel et moral où elle puisse se propager et se multiplier ; dans l’animal, l’agréable et le beau ne se distinguent pas. Si l’homme introduit ensuite entre ces deux choses une distinction d’ailleurs plus ou moins artificielle, c’est qu’il existe encore en lui des émotions plutôt animales qu’humaines, trop simples, incapables d’acquérir cette infinie variété que nous sommes habitués d’attribuer au beau. D’autre part, les plaisirs intellectuels eux-mêmes ne nous semblent pas toujours mériter le nom d’esthétiques, parce qu’ils n’atteignent pas toujours jusqu’au fond de l’âme, dans la sphère des instincts sympathiques et sociaux ; ils ne produisent qu’une jouissance trop étroite. Mais nous pouvons, en nous inspirant de la doctrine même de l’évolution, prévoir une troisième et dernière période du progrès où tout plaisir contiendrait, outre les éléments sensibles, des éléments intellectuels et moraux ; il serait donc non seulement la satisfaction d’un organe déterminé, mais celle de l’individu moral tout entier ; bien plus, il serait le plaisir même de l’espèce représentée en cet individu. Alors se réalisera de nouveau l’identité primitive du beau et de l’agréable, mais ce sera l’agréable qui rentrera et dispa-