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En somme, dans la poésie et la littérature, la faculté de peindre, de dessiner, le soin de la perspective, l’architectonique, tout cela n’a rien de commun avec ce que désignent ces mots quand ils s’appliquent à un art particulier, ayant pour fin la vue. Dans la poésie, l’image fournie est le produit de la coopération de tous nos sens et de toutes nos facultés. Dans les autres arts il n’en est pas ainsi. Cependant, remarquons aussi qu’un tableau, une statue, sont d’autant meilleurs qu’ils excitent par association les facultés les plus diverses de notre être. En général, tout chef-d’œuvre d’art n’est autre chose que l’expression dans le langage le plus sensible de l’idée la plus élevée. Plus l’idée est haute et intéresse la pensée, plus l’artiste doit s’efforcer d’intéresser aussi les sens : rendre l’idée sensible et concrète, et, d’autre part, rendre la sensation féconde et en faire sortir la pensée, tel est donc le double but de l’art.


Tandis que l’art s’efforce ainsi de donner toujours l’amplitude la plus grande à toute sensation comme à tout sentiment qui vient ébranler notre être, la vie même semble travailler dans le même sens et se proposer une fin analogue. Puisque, croyons-nous, rien ne sépare le beau et l’agréable qu’une simple différence de degré et d’étendue, voici ce qui tend à se produire et se produira toujours davantage dans l’évolution humaine. La jouissance, même physique, devenant de plus en plus délicate et se fondant avec des idées morales, deviendra de plus en plus esthétique ; on entrevoit donc, comme terme idéal du progrès.