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voisines, tantôt des sensations les plus fortes et les plus fondamentales de la vie physique, tantôt des sentiments les plus élevés de la conscience morale. Aussi pouvons-nous déduire des principes que nous venons d’établir la règle pratique suivante pour l’art et la poésie : l’émotion produite par l’artiste sera d’autant plus vive que, au lieu de faire simplement appel à des images visuelles ou auditives indifférentes, il tâchera de réveiller en nous, d’une part les sensations les plus profondes de l’être, d’autre part les sentiments les plus moraux et les idées les plus élevées de l’esprit. En d’autres termes, l’art devra intéresser indistinctement à l’émotion toutes les parties de nous-mêmes, les inférieures comme les supérieures. Il sera donc à la fois très matériel, très réaliste, et en même temps il fera la part la plus large aux sentiments et aux idées. Ce qui, dans l’art, est superficiel et blâmable, c’est le jeu de l’imagination pour l’imagination même, c’est-à-dire la succession d’images indifférentes, ne pouvant se traduire en sensations douloureuses ou agréables, ni en idées et en sentiments. Une pure fiction n’est pardonnable dans l’art que si elle est un symbole intellectuel ou moral, si par ce côté elle est réelle et fait penser ou sentir : mais rien de moins esthétique que le frivole. L’arabesque, au lieu d’être le principe générateur du dessin, de la poésie et de la musique, en est l’avortement. Quant à ce qu’on appelle la couleur en poésie et en littérature, c’est tout le contraire d’un assemblage de nuances provoquant un jeu indifférent de la vue, et les peintres en littérature, comme Th. Gautier et son école, qui prétendent avoir une palette au lieu d’une