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conscience, absorbée sur un seul point, semble sur les autres suspendue. Le plaisir reste alors purement sensuel, sans devenir en même temps intellectuel ; il n’a pas cette complexité de résonances, ce timbre qui caractérise selon nous la jouissance esthétique ; 2o quand un plaisir acquiert dans la conscience le maximum d’extension compatible avec le maximum d’intensité, il constitue alors le plus haut degré de satisfaction, à la fois sensible et intellectuelle, c’est-à-dire la satisfaction esthétique ; 3o le temps nécessaire à la diffusion nerveuse dans le cerveau et au retentissement dans la conscience explique pourquoi la perception du caractère esthétique n’est pas toujours immédiate ; le jugement : Ceci est beau, doit en moyenne demander plus de temps que le jugement : Ceci est agréable ; ce dernier même exige plus de temps que la perception brute, qui demande en moyenne pour l’ouïe, 0, 15″, pour le tact, 0, 20″, pour la vue, 0, 21″. Le jugement esthétique ne devient presque immédiat que par l’accumulation des expériences chez l’individu ou chez la race[1].

  1. Probablement il est plus lent chez certains peuples que chez d’autres, chez les Anglais ou les Allemands par exemple que chez les Français, en moyenne. Il serait intéressant d’apprécier, étant donnés plusieurs individus esthétiquement aussi bien doués, et de diverses races, si l’explosion de l’admiration se produirait aussi vite chez eux, devant une beauté incontestable de la nature ou de l’art. D’après M. Grant Allen, qui parle en son propre compte, il faudrait plusieurs expériences accumulées et une série de comparaisons pour bien saisir certaines beautés naturelles, comme les chutes d’eau. « Si on peut en croire une expérience personnelle, ce n’est pas la première chute d’eau qui charme le plus. Le Niagara même,