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primitifs déborde de ces métapliores sensuelles, qui montrent que la jouissance la plus grossière de toutes, celle du manger et du boire, n’a rien en soi d’antipoétique : c’est l’allusion à cette jouissance qui semble, au contraire, éveiller le plus facilement le sentiment esthétique chez l’homme des premiers âges.

Les parfums saisis par l’odorat ont la même valeur que l’arôme saisi par le goût. La parfumerie, elle aussi, est une sorte d’art, qui d’ailleurs reste bien au-dessous de la nature même. Le principal reproche qu’on a adressé au goût et à l’odorat est le suivant : dans les impressions que ces sens nous donnent, l’intehigence ne peut saisir et distinguer le groupement des perceptions élémentaires ; une odeur ne se résout pas pour la pensée, comme un accord musical, en une série de notes distinctes, et d’autre part on peut difficilement combiner ou graduer les odeurs sans les confondre : ce sont les sensations où l’entendement peut le moins s’exercer et d’où ne peut jamais sortir une perception de forme. Sans doute, mais la perception de forme et de contour est si peu nécessaire à l’émotion esthétique qu’elle ne s’acquiert souvent qu’à la longue : pour un auditeur inexpérimenté les accords symphoniques les plus complexes restent indistincts et ne sont saisis que comme une seule note ; de même, pour quelqu’un qui n’a jamais regardé de tableau, la riche gamme de couleurs d’un Delacroix ne produira qu’une impression simple et confuse. Cependant, tous deux pourront goûter un charme esthétique dans cette symphonie de sons ou de couleurs où leur sensibilité non exercée ne saisit encore qu’un unis-