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tives. Sous tous ces rapports, le rythme constitue une économie de force, et de là vient son caractère esthétique. Nous avons en nous une sorte d’orchestre intérieur qui a besoin, ainsi que tout autre, de se régler comme sur le bâton d’un chef d’orchestre. Le caractère agréable ou désagréable des consonances ou des dissonances s’explique lui-même par le principe de l’économie de la force. Ce qui rend les dissonances si désagréables, c’est que, comme l’a montré Helmholtz, elles sont produites par un croisement des ondes sonores, qui se détruisent mutuellement au point d’intersection ; de là des intermittences dans le son, qui produisent sur l’oreille un effet analogue à celui que produit sur l’œil la vacillation d’une lampe ou le passage derrière une claire-voie éclairée par le soleil. Dans ce cas, l’oreille ou l’œil sont perpétuellement surpris : au moment où ils rentrent dans le repos et sont en train de réunir de nouvelles forces pour la sensation prochaine, une onde sonore ou lumineuse vient les frapper sans que le temps normal pour la réparation soit écoulé. Ici encore le caractère désagréable de la sensation vient de ce qu’elle est une dépense vaine de force, un labeur sans but.

En somme, la perception n’est point aussi contemplative qu’il le semblait d’abord : nous y sommes acteurs autant que spectateurs. Les formes senties ne sont en définitive que des mouvements sentis, et les mouvements sentis ne sont que des mouvements exécutés. Dans la perception nous déployons notre force, en harmonie ou en conflit avec les forces extérieures : s’il y a harmonie, il y a moins de