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tone, c’est qu’elle exerce toujours l’oreille de la même manière et use ainsi les nerfs auditifs, comme une goutte d’eau qui tombe toujours au même point finit par user la pierre. Au contraire, la variété de ton et d’intensité repose l’oreille dans son travail même : par exemple, le piano succédant au forte, ou au contraire le forte succédant à des mesures piano, pendant lesquelles l’oreille s’est reposée et a recueilli ses forces. Le chant diffère de la parole en ce qu’il emploie une échelle de sons bien plus étendue et exerce ainsi successivement un bien plus grand nombre d’appareils auditifs. Suivant M. Grant Allen, les nerfs de l’oreille sont en perpétuelle vibration : quand les vibrations de l’air contrarient les leurs, il y a déplaisir ; quand, au contraire, elles les favorisent et s’y ajoutent, il y a jouissance. L’harmonie intérieure n’est qu’une traduction de l’harmonie entre le dedans et le dehors, qui assure le jeu libre de l’organe. Ce qui fait que la plupart des bruits isolés sont désagréables, c’est que, si un corps est frappé une fois, les ondes excitées sont irrégulières ; si au contraire, il est mis en vibration continue, les ondes se régularisent : un coup de grosse caisse sec et subit est désagréable, tandis qu’un roulement rythmé commence à prendre un caractère esthétique. Si le rythme est essentiel au son musical, c’est qu’il permet à l’oreille de s’accorder pour ainsi dire aux vibrations extérieures, comme on accorde entre eux les instruments avant de les faire vibrer. Le rythme nous donne la possibilité de prévoir les sons, de nous y préparer : c’est un élément connu introduit dans l’inconnu des sensations audi-