Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/70

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

genre à un simple jeu ? Pour le savoir, analysons plus intimement la nature de la sensation.

En premier lieu, ce qui nous paraît résulter des importants travaux de MM. Spencer, Sully et Grant Allen sur ce sujet, c’est que la sensation même enveloppe l’action et le mouvement, c’est que la beauté des sensations est en grande partie constituée par un déploiement intense et harmonieux de la force nerveuse, où se réalise, comme dit M. Spencer, « le maximum d’effet avec le minimum de dépense. » Pourquoi, par exemple, dans les objets perçus par la vue et le tact, préférons-nous les lignes flottantes et onduleuses aux lignes dures et anguleuses ? C’est que les premières, pour être perçues, exigent un moindre travail des muscles de l’œil : en les suivant, l’œil n’a pas besoin d’arrêter soudain son mouvement ou de changer brusquement de direction, comme lorsqu’il suit une ligne en zigzag. Remarquons d’ailleurs que tous les êtres vivants, animaux ou végétaux, présentent plus ou moins la ligne serpentine dans leurs mouvements et jusque dans leur structure. On peut expliquer aussi avec M. James Sully, par l’organisation même de la rétine, pourquoi nous aimons à voir les objets groupés soit autour d’un centre, — d’où notre préférence pour les formes circulaires, étoilées ou rayonnantes, — soit autour d’un axe, en forme d’arbres, de tiges et de fleurs : cette disposition économise de l’effort musculaire. Enfin les qualités de similitude que nous recherchons dans les formes, l’analogie des directions, l’égalité des grandeurs, la proportion, la variété réduite à l’unité, tout s’explique par les mêmes raisons :