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sirs concomitants peuvent y être distinctement appréciés. » — Mais, dirons-nous, tout plaisir intense est toujours « distinctement apprécié par la conscience ; » or, il n’est pas de plaisirs plus intenses que ceux qui répondent à la satisfaction d’un besoin vital : ils « remplissent la conscience » beaucoup mieux que telle jouissance esthétique élémentaire, par exemple celle que nous donne la vue d’une tache lumineuse sur un fond obscur ou l’audition d’une note de musique isolée. Il nous paraît donc impossible, pour cette raison, de considérer le désir et sa satisfaction comme essentiellement antiesthétiques ; au contraire, en projetant toute la lumière de la conscience sur leur objet, ils peuvent le transfigurer et lui créer de toutes pièces une certaine beauté. Chaque fois qu’un désir est puissant et continu, il tend à grouper autour de lui toutes nos activités, à devenir, pour ainsi dire, le centre d’attraction de l’âme humaine : c’est le cas pour le désir sexuel, foyer perpétuel de nombreux sentiments esthétiques.

La vie humaine est dominée par quatre grands besoins ou désirs, qui correspondent aux fonctions essentielles de l’être : respirer, se mouvoir, se nourrir, se reproduire. Nous croyons que ces diverses fonctions peuvent toutes revêtir un caractère esthétique. La première semble indifférente au premier abord ; pourtant, il est peu d’émotions plus profondes et plus douces que celle de passer d’un air vicié à un air très pur, comme celui des hautes montagnes. Respirer largement, sentir le sang se purifier au contact de l’air et tout le système distributeur reprendre activité et force, c’est là une jouissance presque enivrante