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le soulevait tout à coup, s’il lui revenait quelque sentiment de l’air libre, et nous n’éprouvons plus devant lui que tristesse et pitié.

D’après ces principes, nous pouvons maintenant mieux apprécier à leur juste valeur les théories étranges de certains poètes contemporains sur le rôle des « chevilles » dans la poésie, où elles seraient destinées à remplacer la pensée. Ces théories ont leur origine, il faut le reconnaître, dans une observation historique ingénieuse : il s’agit de la façon différente dont on faisait autrefois et dont on fait aujourd’hui les mauvais vers. Les poètes du dix-septième siècle usaient peu de la cheville telle que l’entendent les modernes, c’est-à-dire de ces chevrons placés à l’intérieur du vers pour accrocher deux idées souvent disparates, mises en relief à la fin. Le point faible du vers était plutôt chez eux à la rime, sous la forme d’une épithète ou d’un substantif superflus :


Je sors et vais me joindre à la troupe fidèle
Qu’attire de ce jour la pompe solennelle.


Afin de pallier ce défaut si fréquent dans les vers du dixseptième siècle, on sait le procédé vanté par Boileau et qui consistait à faire passer la rime faible la première, pour que l’esprit restât de préférence sur l’idée saillante. Construisant ainsi ses vers deux par deux, il les comparait à ces moines que le prieur ne laisse pas sortir seuls, mais envoie de compagnie, afin qu’ils se surveillent l’un l’autre. Ce procédé était trop primitif ; de nos jours, le savoir-faire est beaucoup plus grand. C’est dans l’intérieur du vers qu’on