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il en vint à adorer le mot, qu’il confondit absolument avec l’idée ; le mot, « vie, esprit, germe, ouragan, vertu, feu[1]. » Le culte du « pittoresque, » qui réside surtout dans les mots, remplaça celui de la beauté véritable, qui réside surtout dans la réalité et dans la pensée. De là, la recherche des termes « empanaches » et bruyants, qui laissent dans l’oreille une sorte de bourdonnement confus et dans l’esprit des images incohérentes, sans présenter aucune idée claire. Th. Gautier, doublement fier de son habileté dans l’art des mots et de sa force en gymnastique, aimait à s’écrier : « Moi, je suis fort, j’amène 520 sur une tête de Turc, et je fais des métaphores qui se suivent ! Tout est là. » Des noms aux « triomphantes syllabes, » sonnant comme des « fanfares de clairon, » ou encore des « mots rayonnants, » des « mots de lumière, » voilà, selon Th. Gautier, toute la poésie lyrique[2]. Quant au roman et au drame, il a besoin d’une autre espèce de mots, ceux qui offrent au palais une saveur excitante et épicée. « Les classiques ont pipé les niais de leur époque avec du sucre ; ceux de maintenant aiment le poivre : va pour le poivre !

  1. Contemplations, I, vii.
  2. M. de Banville cite les deux vers suivants de V. Hugo :


    C’est naturellement que les monts sont fidèles
    Et purs, ayant la forme âpre des citadelles.


    Dans ces vers il se contente d’admirer comment « le grand mot terrible citadelles est appuyé sur le mot court et solide âpre ; » mais, ainsi qu’on le lui a objecté avec raison, le mot citadelles n’est terrible que par. le sens ; « autrement le mot mortadelles serait plus terrible, s’il ne désignait une espèce de charcuterie. » (J. Weber, Les Illusions musicales.)