Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/253

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trastes de couleur qui dounent un ton plus chaud à sa description. La recherche des rimes n’est pas étrangère à tel ou tel effet des Orientales, où le heurt d’images rapprochées par le simple hasard de la rime produit des couleurs crues comme certains paysages d’Orient. Lorsqu’on ne cherche dans la poésie absolument rien que des couleurs, on peut donc y mettre par surplus toutes les sonorités possibles : lorsque, avec certain héros de Th. Gautier, on ne rêve que trois choses dans l’existence, l’or, le marbre et la pourpre, on peut y ajouter ce quatrième idéal, la rime riche, et on sera parfaitement heureux à assez bon marché ! Mais la poésie descriptive n’est pas la vraie poésie. Comme l’a remarqué finement M. Sully Prudhomme, « la palette du poète est si pauvre, comparée à celle du peintre, qu’il ne peut suppléer à l’insuffisance du vocabulaire descriptif qu’en associant toujours une émotion morale à son imparfaite copie de la ligne et de la couleur ; w or, dès que le sentiment et l’émotion reprennent le premier rang, les mots et les sonorités tombent aussitôt au second[1]. Si l’on songe que dans la seule manufacture des Gobelins se fabriquent quatorze mille nuances distinctes, on verra combien, sans l’idée et le sentiment, la langue des sons serait impuissante à côté de celle des couleurs ; de plus, la poésie ne peut guère figurer le mouvement, comme la peinture ou la sculpture. Pour peindre les choses, le poète est réduit à se peindre lui-même, à exprimer ses propres sentiments et les pensées où ils se formulent ; or, dès que le sentiment et l’idée inter-

  1. Sur la couleur dans la poésie, voir plus haut, p. 81.