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distendre jusqu’à ce que, de vers en vers, il ait fini par découvrir la série de rimes riches qu’il demande. La périphrase et la métaphore sont la seule ressource pour bien rimer. De là, comme double conséquence, chez les parnassiens les périphrases ingénieuses « à la Delille, » et chez les romantiques des métaphores souvent superbes, quelquefois fausses, comme celles qu’on trouve chez Victor Hugo lui-même. On a dit fort bien de Th. Gautier que c’était un « Delille flamboyant. » Quant à Victor Hugo, il a besoin de tout son génie pour se faire pardonner son habileté, et de toute la puissance de son art pour compenser les artifices où il se plaît trop souvent. Il est toujours resté en lui quelque chose de l’enfant-prodige, cherchant à « stupéfier les classiques » et parfois à les mystifier par quelque souplesse de son talent. Il éprouve du plaisir à montrer comment il sait jouer avec la rime, à nous présenter ses vers comme des solutions de problèmes insolubles ; semblable à sa Djali de Notre-Dame-de-Paris, il dispose et combine en un clin d’oeil sur son tapis de magicien les lettres ou les syllabes les plus diverses ; seulement c’est une griffe de bon, souple et puissante, qui se ghsse au milieu des mots, les pousse l’un contre l’autre et tout à coup les fait saillir en pleine lumière. On ne peut jamais assez l’admirer ; mais il y a quelque chose de supérieur encore à l’admiration : c’est l’émotion, et il ne la produit qu’en s’oubliant lui-même, en ne faisant plus sentir qu’il rime, en dépouillant tout à fait le magicien. Lorsqu’on faisait à Rossini l’éloge de ses opéras italiens, il répondait en hochant la tête : trop de roulades, trop de roulades ! « Trop