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l’art l’inégalité de travail à laquelle elle contraint nos organes. L’art a ainsi son rôle dans l’évolution humaine : son extinction en marquerait peut-être la fin ; son progrès a coïncidé jusqu’ici avec celui de la vie et de la civilisation : quoi qu’on en puisse dire, il y a donc des raisons d’espérer que l’art jouera dans l’existence de l’homme un rôle de plus en plus considérable. Notre organisme, en se perfectionnant, en viendra à économiser toujours plus de force, comme le font nos machines ; de cette manière il en aura toujours davantage en réserve ; or, nous le savons, c’est l’art qui doit employer le surplus de force non utilisé dans la vie courante. L’art ira ainsi doublant et triplant notre existence : une vie d’imagination se superposera à l’existence réelle, et c’est en elle que se répandra tout le trop-plein de nos sentiments ; elle sera la perpétuelle revanche de nos facultés non employées. On peut concevoir que l’art, ce luxe de l’imagination, finisse par devenir une nécessité pour tous, une sorte de pain quotidien[1].


II. — Malgré la vérité que renferme, ainsi complétée, la théorie évolutionniste du beau, elle ne nous semble pas à l’abri de sérieuses ol)jections.

D’abord, si tout art est un jeu et si tout jeu n’est pas de l’art, comment distinguerons-nous l’un de l’autre ? Selon M. Grant Allen, le jeu serait « l’exercice désintéressé des fonctions actives (course, chasse, etc.), » l’art,

  1. C’est une question sur laquelle nous reviendrons dans le livre II.