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ainsi comme la coloration du langage, les consonnes ou articulations ne sont que les lignes qui séparent les unes des autres les diverses bandes colorées et les empêchent de se confondre. Elles sont comme les nervures du langage, et on ne les dislingue pas aussi facilement de loin : dans un massif d’arbres, on n’apercevra d’abord que la teinte des feuilles, non leur forme ; de loin, on n’entendra dans un chant que les voyelles émises, non les consonnes qui règlent leur émission. La voyelle étant le fond même de la rime et ce que l’oreille remarque d’abord, nous pouvons établir cette première règle, qu’avant tout la rime doit offrir l’identité des voyelles consonantes. Il faut donc condamner toutes ces rimes : couronne, trône ; râle, sépulcrale ; économe, homme ; bât, abat, etc., qu’on trouve sans cesse dans les romantiques et les parnassiens. L’identité de la consonne d’appui ne peut racheter la différence des voyelles.

Ce principe de la rime une fois posé, nous comprendrons vite comment l’identité des voyelles tend à produire l’identité de la consonne qui suit. Si je prononce, par exemple, ces mots âne et âme, la différence de la consonne est en elle-même peu de chose ; seulement, l’oreille reste sur cette différence, qui, se produisant à la fin du mot, acquiert ainsi une importance soudaine et compense la ressemblance des voyelles. De là une seconde règle : les consonnes qui suivent la voyelle de la rime doivent toujours avoir un son identique. Il faut donc regarder comme inexactes ces rimes que V. Hugo a reproduites si fréquemment et dans lesquelles les consonnes dernières sont tantôt muettes