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toute autorité. L’appréciation du public en aurait davantage ; mais, en général, tout lecteur qui n’est point un rimeur lui-même n’attachera pas une importance exagérée à la richesse de la rime : c’est là une affaire de métier plutôt que d’oreille. Pures questions de métier, par exemple, que tels reproches adressés à A. de Musset par les parnassiens. Si vous rencontrez dans la rue un tailleur, il vous regardera moins vous-même qu’il n’observera la coupe de votre habit ; si c’est un coiffeur, il examinera la coupe de vos cheveux ; si c’est un cordonnier, vos chaussures : un étranger arrivant à Marseille est poursuivi aussitôt par de petits garçons qui, l’œil sur ses pieds, y découvrent quelque grain de poussière et mettent leur brosse à son service. Ainsi en est-il dans le monde des artistes : trop souvent, au lieu de saisir dans l’œuvre des Musset et des Hugo l’idée qui la dominait, on s’est attaché aux petites choses du métier, à tel grain de poussière. Th. Gautier, — qui ne pardonnait qu’un vers à Racine : « La fille de Minos et de Pasiphaë, » — déclarait que le chef-d’œuvre de V. Hugo est rénumération de noms sonores placée au début de Ratbert ; il reniait énergiquement Alfred de Musset, comme un « poète bourgeois, » sans sonorité. À Théophile Gautier et aux parnassiens Musset eût pu répondre : u De grâce, ne regardez pas seulement mon pourpoint ou mes chaussures ; regardez-moi en face, droit au visage, et tâchez de lire ma pensée au fond de mes yeux. « La faveur croissante dont jouit Musset auprès du public, malgré le discrédit où il est tombé auprès des poètes contemporains, montre combien le chatouillement de la rime riche touche