nécessaire ; il est donc difficile d’établir empiriquement, d’après leur exemple, aucune règle prescrivant la rime riche. Ceux mêmes qui ont eu le plus de recherches à l’endroit de la rime font preuve soudain, par moments, d’une négligence extrême. On relèverait chez Victor Hugo des milliers de vers blancs ou qui sont bien près de l’être[1]. L’autorité des poètes n’a donc pas grande valeur, comme
- ↑ Fiers rimant avec entiers, mer avec aimer ou écumer, sourcils
avec attendent-ils, Christ avec écrit, luth avec salut, etc. Th. Gautier
se contente parfois de la simple assonance et fait rimer par exemple
baisers et appuyés. Les rimes avec consonnes d’appui, qui chez
V. Hugo sont habituellement dans la proportion de soixante à quatre-vingts
pour cent, tombent brusquement, en certains morceaux,
à la proportion qu’on trouve chez Musset : trente-cinq à quarante
pour cent, quelquefois moins. Voici par exemple une strophe des
Contemplations où aucune consonance n’est parfaite, la consonne
d’appui manquant (resse, paisse, etc.) :
Hier le vent du soir, dont le souffle caresse,
Nous apportait l’odeur des fleurs qui s’ouvrent tard ;
La nuit tombait ; l’oiseau dormait dans l’ombre épaisse.
Le printemps embaumait, moins que votre jeunesse ;
Les astres rayonnaient, moins que votre regard…
Selon le principe de M. de Banville et de M. Legouvé, ces vers ne rimeraient pas et ne seraient pas des vers. Il est vrai qu’on n’y trouve point de calembour, mais leur harmonie est incontestable.M. de Banville aurait plutôt raison s’il blâmait ces vers souvent cités qui terminent l’épisode du jugement dans Melancholia :
Et rien ne reste là qu’un Christ pensif et pâle,
Levant les bras au ciel dans le fond de la salle.
Ceux-là ne riment vraiment pas, et pourtant ce sont bien des vers. L’exactitude de la rime semble devenir assez peu de chose, aux yeux mêmes de V. Hugo, devant l’harmonie de la phrase musicale et la puissance de l’image.