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dants, mais à l’hémistiche de tout autre vers placé entre eux, produisait de jolis effets d’harmonie, et en même temps elle compliquait le rythme même, ce que ne fait pas la rime riche. Quels « rimeurs » que Clément Marot et ses contemporains, et comme ils dépassaient nos parnassiens modernes ! C’étaient alors des combinaisons d’une ingéniosité sans égale, des problèmes d’une décourageante difficulté résolus en se jouant, des tours de force ou d’adresse dignes de ce temps où l’on faisait tenir l’Iliade entière copiée sur parchemin dans un œuf de pigeon. Que de petits poèmes contenant, comme cet œuf, des trésors de patience et de génie ! La difficulté vaincue était toujours sûre de provoquer l’admiration, tandis que la vraie beauté l’était beaucoup moins. Il est si commode d’avoir un « critérium » fixe pour juger l’œuvre d’art ! Une femme du peuple disait au sortir d’un sermon : « Quel grand prédicateur ! Il a parlé pendant deux heures entières. » C’est ainsi, par le temps et l’effort, qu’on appréciait la poésie, et la rime permettait de supputer mentalement la longueur du travail. « Quels beaux vers ! ils sont si cherchés ! » Par malheur, ce genre de beauté passe bien vite : plus une œuvre d’art sent l’effort, plus elle est ingénieusement arrangée, frisée, pomponnée, plus tôt elle se démode ; rien ne se fane comme les papillotes : il n’y a d’éternel que ce qui est simple.

C’est pourtant vers cette époque d’effort stérile, de jeux de rimes et de jeux de mots que nos poètes contemporains, depuis Th. Gautier, ont tous essayé de revenir. Presque toujours, dans les périodes où l’art vieillit, il se produit un