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blement accentuée, elle tendra à se fondre dans l’autre et à former un son composé, une sorte de diphtongue où tout hiatus disparaît : c’est pour cela que la rencontre des voyelles à l’intérieur des mots n’offre en général rien de choquant pour l’oreille : suavité, jouet, poète, Danaé, etc. Ces sons composés ont au contraire une expression caressante. Tout autre est la rencontre de voyelles qui appartiennent à deux mots distincts et qui ont ainsi une existence indépendante l’une de l’autre : cette rencontre ne peut avoir lieu dans la langue française sans un heurt vraiment désagréable. C’est que dans notre langue l’accent tonique porte précisément sur la dernière syllabe de chaque mot ; la voix, au moment où elle s’allongeait sur cette syllabe, se trouve donc arrêtée brusquement dans son extension : on a le sentiment d’un obstacle qui intervient, d’une sorte de choc. Le choc est d’autant plus violent que le sens de la phrase permet moins de s’arrêter entre les deux mots, ou que la voyelle du second mot est moins sourde : par exemple, cet hiatus : l’oiseau apparaîtra, est plus dur que cet autre : l’oiseau ami de l’homme, parce que la syllabe ap porte un accent tonique secondaire, tandis que la première syllabe d’ami n’en porte pas.

En somme, la langue française est infiniment plus susceptible d’hiatus que les autres langues : 1o à cause de la disposition de ses accents toniques ; 2o à cause de la prononciation distincte et indépendante de chacune de ses syllabes ; 3o à cause du son franc et simple de ses voyelles, qui peuvent plus difficilement que celles des autres langues