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les ressources les plus faciles pour cette mathématique inconsciente qui, en poésie comme en musique, constitue l’harmonie.


Comme les poètes contemporains ont tenté de briser le rythme et le nombre du vers français, ils ont voulu réformer les lois de l’harmonie des syllabes et rétablir l’hiatus. Cette question de l’hiatus nous paraît beaucoup moins importante que celle du rythme et du mètre, puisque le vers français a existé longtemps et peut encore exister avec des hiatus. Nous croyons qu’il est sur ce point peu de règles absolues ; pourtant il y a cette règle générale de mécanique qu’un mouvement s’accomplit avec d’autant plus d’aisance qu’il donne lieu à moins de frottements. La rencontre des voyelles est condamnable parce que c’est, au point de vue scientifique, une perte de force pour les organes vocaux et une fatigue pour l’oreille.

Comme l’a montré M. Becq de Fouquières, l’hiatus est une interruption brusque, une solution de continuité dans le son. Quand nous prononçons deux voyelles consécutives très distinctement et en les accentuant toutes deux, le courant d’air expirateur doit s’arrêter après la première pour attendre que la bouche soit prête à l’émission de la seconde : de là un temps de silence qui suspend la parole et toute sensation acoustique[1]. L’hiatus sera d’autant plus sensible que chacune des voyelles portera un accent tonique plus caractérisé : au contraire, si la première est plus fai-

  1. Voir sur ce point un excellent chapitre de M. Becq de Fouquières, page 289.