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facilement saisissables à l’oreille ; 2o le vers peut être coupé par la césure en deux parties inégales si, dans ces deux parties, les nombres des syllabes offrent des rapports simples et sont divisibles par le même chiffre. C’est ce qui arrive pour le vers de dix pieds coupé en deux parties de quatre et de six syllabes :


L’amour forgeait ; au bruit de son enclume
Tous les oiseaux, troublés, rouvraient les yeux (V. Hugo).

Malgré l’inégalité des deux hémistiches, l’oreille n’est pas choquée, parce qu’elle saisit sans effort le rapport des deux nombres pairs. Au contraire, au lieu des nombres 4 et 6, mettez 3 et 7, ou, en supprimant une syllabe, mettez 4 et 5 ou 5 et 4 ; vous obtiendrez des rapports mathématiques choquants pour l’oreille. Faute d’avoir connu cette règle, on a composé des vers de 9 syllabes qui sont vraiment inadmissibles :


En proie à l’enfer plein de fureur,
Avant qu’à jamais il resplendisse,
Le poète voit avec horreur
S’enfuir vers la nuit son Eurydice (Th. de Banville).

Je n’aimai pas le tabac beaucoup (Sedaine).

Au contraire, coupez le vers de neuf pieds en parties égales, c’est-à-dire établissez deux césures, l’une après le troi-

    D’autres fois il est de 2 et 6 (ou 6 et 2). D’autres fois encore de 3 et 5 (ou 5 et 3) : le rapport est alors plus complexe, mais l’intelligence le saisit facilement parce qu’il s’agit ici de deux très petits nombres, et une simple variété est introduite au sein d’un rythme constant.