Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

élégante que si ce rapport simple existe entre le pilier et les bras. De même, en musique, les accords résultent, comme on sait, de rapports simples entre les nombres des vibrations. Il en est ainsi dans le vers, qui a, lui aussi, sa règle d’or et doit s’y conformer. Analysons ces vers empruntés à la Légende des siècles, où se trouve à la fois un enjambement et la suppression (apparente) de l’hémistiche :


… Et la voix qui chantait
S’éteint comme un oiseau se pose : tout se tait.


Le premier vers, très bien coupé, a donné le sentiment net de la vraie mesure ; à l’hémistiche du second vers se trouve la diphtongue sonore eau qui porte accent tonique ; l’oreille sent que c’est ici le temps fort, la voix semble devoir y appuyer, s’y reposer longtemps : tout d’un coup elle glisse ; par un effet de rythme merveilleux se trouve représentée la courbe brisée du vol d’un oiseau ou d’une vibration mourant dans l’air. Aucune loi du vers n’a été violée ; la mesure de a été conservée avec un simple contre-temps à la seconde mesure, et cependant quelque chose de nouveau se trouve dans ce vers : une image, une idée a été produite par un procédé tout musical, sans le secours des mots.


La porte tout à coup s’ouvrit bruyante et claire…
Le preux se courbe au seuil du puits, son œil s’y plonge[1]


Dans ces exemples, où le contre-temps produit au milieu

  1. Remarquons que l’effet cherché dans tous ces vers disparaît si