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n’éprouvent pas un moindre besoin d'activité : de là cette gêne, cette souffrance vague que nous cause le silence absolu des hauts sommets ou des mines très profondes. On comprend donc que tout organe saisisse avec plaisir une occasion de s'exercer, même si cette occasion n'est pas utile et sérieuse. Le jeu, chez les animaux, consiste à simuler les actes ordinairement utiles pour leur existence ou pour celle de leur espèce : ces actes, en effet, par cela même qu'ils sont les plus habituels, offrent au trop-plein de force nerveuse une pente facile et des voies d'écoulement. Le chat et le lion guettent une boule, bondissent et la roulent sous leurs griffes : c'est la comédie de l'attaque. Le chien court après une proie imaginaire ou fait semblant de combattre avec d'autres chiens : il s'irrite par la pensée, montre les dents et mord à la surface. La lutte pour la vie, simplement simulée, est donc devenue un jeu. Il en est de même chez les hommes. Les jeux des enfants, celui de la poupée et celui de la guerre, sont la comédie des occupations humaines. Outre le plaisir de l'imitation, il faut voir là, selon M. Spencer, le plaisir de mettre en œuvre des énergies encore inoccupées, des instincts inhérents à la race. Dans presque tous les jeux, la satisfaction la plus grande est de triompher sur un antagoniste ; or l'amour de la victoire est, comme la victoire même, une condition d'existence pour toute espèce vivante ; aussi avons-nous un perpétuel besoin de le satisfaire. À défaut de triomphes plus difficiles, tel ou tel jeu d'adresse nous suffit. Sans le savoir, un pacifique joueur d'échecs obéit encore à l'esprit conquérant de ses ancêtres. Nous