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pas de leurs feuillets jaunis que la rime a chance de sortir « horrible et formidable[1] ? »

En somme la théorie romantique et parnassienne du vers, sauf ce grain de mysticisme qu’y ajoute M. de Banville, est très logique, très consciente d’elle-même et très raisonnée dans ses conséquences les plus paradoxales. Ses deux affirmations essentielles sur l’absence de césure et sur la richesse continue de la rime méritent donc examen. Et d’abord existe-t-il vraiment, comme on le répète chaque jour, un vers tout nouveau, le vers romantique, caractérisé par l’absence réelle de césure à l’hémistiche ? Voici quelques lignes tirées des poésies de MM. Leconte de Lisle et Coppée ; ces lignes nous paraissent bien répondre au type nouveau de vers admis aujourd’hui :


Et les taureaux, et les dromadaires aussi… (L. de Lisle).
Et triomphant dans sa hideuse déraison…
Comme des merles dans l’épaisseur des buissons…

L’habilleuse avec des épingles dans la bouche… (Coppée.)
Des grisettes qui lui trouvaient l’air distingué…
Et la fièvre lorsque tout à coup je remarque…


  1. Les exemples deviennent plus curieux encore si, au lieu de les emprunter à des maîtres, on les recueille chez les jeunes poètes contemporains. M. Aicard par exemple, qui a tenté de faire la théorie de son art et défendu dans une préface la suppression de la césure classique, écrit des vers comme ceux-ci :


    Et j’aspire ton souvenir avec paresse…
    Travaille au bas sans y mettre d’attention…


    M. Richepin :


    Vous conseille d’appareiller pour les étoiles.


    M. Guy de Maupassant :


    Des brises tièdes qui font défaillir le cœur.