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qu’à marcher sans la consonne d’appui. » Mais il y a une chose meilleure que la consonance d’une syllabe : c’est la consonance parfaite de deux ou plusieurs syllabes et surtout de deux mots entiers ; de quel nom appelle-t-on cette identité de son, accompagnant la différence de sens ? C’est le calembour. Le romantisme devait arriver par la logique des choses à se proposer comme idéal « le vers calembour, » et telle est en effet l’idée de M. de Banville. Qu’est-ce après tout que la rime, si on la considère scientifiquement, à part du rythme qu’elle marque et qui lui communique toute sa grâce ? Un calembour incomplet, avorté ; donc plus le calembour est complet, meilleure sera la rime, et aussi le vers, puisque la rime fait le vers. On ne peut contester la valeur de ce raisonnement ; on sait d’ailleurs la grande quantité de vers calembours que renferme déjà V. Hugo : souffre rimant avec soufre, Racine avec racine, Corneille avec corneille, j’ai faim avec génovéfain, etc. Ajoutons que l’impression produite par le rapprochement de mots disparates, rapprochement perpétuel dans les romantiques et qui constitue à leurs yeux le « pittoresque de la rime, » a toujours beaucoup d’analogie avec la surprise excitée par le calembour. Il en est ainsi même quand ces mots n’ont pas un son tout à fait identique ; je citerai les rimes : Marengo, lombago ; gouine, baragouine ; affranchîmes, cacochymes ; prodige, callypige ; tonnez, tu n’es qu’un nez ; boyaux, royaux ; urètre, prêtre, etc. Tous ces effets sont pour ainsi dire des ébauches de calembours. Selon M. de Banville, le calembour, qui n’est jamais déplacé dans la poésie sérieuse.