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humble rameau du grand tronc romantique ; elle se rattache à Th. Gautier, l’admirateur et pour ainsi l’adorateur de V. Hugo, du poeta soverano, comme Dante disait d’Homère. Selon M. de Banville, qui a systématisé bien plus exactement qu’on ne pourrait le croire les principes esthétiques du romantisme, la Légende des siècles doit être « la Bible et l’Évangile de tout versificateur français. »

C’est que la Légende des siècles n’est pas seulement un chef-d’œuvre de poésie, elle renfermerait, selon M. de Banville, un nouveau type de vers, inconnu au dix-septième et au dix-huitième siècle, un vers construit d’après des principes tout autres, le vrai, le seul vers français. M. E. Legouvé[1], qui a pour lui son expérience de lecteur consommé, croit aussi à l’existence de deux types de vers distincts, qu’il lâche, il est vrai, d’unir dans la même admiration : ce sont « deux puissants dieux, » dit-il en empruntant un vers d’Athalie, et il faut les servir tour à tour ; par malheur, il a toujours été difficile de maintenir le bon accord entre les dieux comme entre les rois. M. de Fouquières, par l’analyse scientifique, croit pouvoir en venir, lui aussi, à affirmer qu’il existe un vers romantique, construit sans césure à l’hémistiche, plus rapide et tenant en moins de mesures que l’alexandrin classique. Ainsi, s’il faut en croire tous les poètes contemporains et la plupart de ceux qui, de nos jours, se sont occupés de métrique, V. Hugo ne s’est pas contenté de varier à l’infini

  1. M. E. Legouvé, L’art poétique d’autrefois et l’art poétique d’aujourd’hui (dans le Temps).