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CHAPITRE PREMIER
LE PLAISIR DU BEAU ET LE PLAISIR DU JEU

I. — Il est un point que l’école anglaise a eu le mérite de bien mettre en lumière : c’est le rôle du jeu dans l’évolution des êtres vivants. Les animaux très inférieurs ne jouent guère ; ceux qui, « grâce à une meilleure nutrition, » ont un surcroît d’activité nerveuse, éprouvent nécessairement le besoin de le dépenser : ils jouent. Tout organe qui est resté longtemps en repos est comme une pile chargée d’électricité en tension croissante, qui demande à se décharger par l’action. M. Spencer cite l’exemple des rats rongeant même ce qui ne peut les nourrir, afin d’occuper l’activité de leur système dentaire ; — des chats qui, dans la vie tranquille où nous les avons réduits, éprouvent cependant le désir d’exercer leurs griffes et, à défaut de proie, égratignent une chaise ou un arbre ; — des girafes, habituées dans les hautes forêts à cueillir les branches d’arbres avec leur langue et qui, en captivité, continuent d’utiliser leur langue à tirailler les parties intérieures du toit ou à aplanir les angles supérieurs des portes. Des organes moins grossiers, comme les yeux et les oreilles.