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La rime est, au premier abord, ce qui semble le plus artificiel dans le vers moderne. Autant le rythme est l’expression naturelle de Témotion, autant il semble étrange au premier moment de rimer sa joie ou ses douleurs. Aussi, pour comprendre la rime, faut-il y voir tout autre chose que la simple répétition du même son ; elle est un moyen de marquer la mesure, elle est la mesure devenue sensible et vibrante à l’oreille. Si on la considère sous ce nouveau point de vue, on verra qu’elle se déduit très bien des lois physiologiques et psychologiques qui règlent la formation du vers : rime vient de rythme, et Joachim du Bellay écrivait encore au seizième siècle la rythme. Lorsque plusieurs vers se suivaient, il fallait trouver un moyen de les distinguer nettement les uns des autres, et pour cela de marquer avec insistance le temps fort de la douzième syllabe ; la rime était ce moyen. Elle ne fut d’abord qu’une simple assonance, puis alla se perfectionnant avec le sentiment même de la mesure. C’est elle qui, aujourd’hui, donne son unité au vers et permet de lefaire entrer, sans le détruire, dans l’organisme plus compliqué

    lière, et d’une coupe plus ou moins analogue à ceux qu’on essaye aujourd’hui d’introduire :


    Tant que mon cœur faible, encore plein de jeunesse,
    N’aura pas à ses illusions dit adieu.
    Je ne pourrai m’en tenir à cette sagesse
    Qui, du sobre Épicure, fit un demi-dieu.


    Toute musique et tout nombre ont disparu. La rime, au lieu de charmer l’oreille, la choque plutôt, comme il arrive dans la prose.