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caractère musical, c’est : 1o le temps fort de la césure, qui coupe les douze temps du vers en deux parties égales ; 2o le temps fort de la fin du vers, qu’on pourrait appeler la césure finale ; 3o les accents toniques, qui subdivisent encore d’une façon plus ou moins irrégulière les deux membres de phrase ainsi obtenus, varient le rythme, brisent la raideur primitive de l’alexandrin[1].

Dès qu’il possède ses douze temps divisés par deux temps forts, le vers moderne est organisé. Il reste à le grouper avec d’autres. Nous avons étudié isolément cet organisme délicat ; il nous reste pour ainsi dire à l’étudier en société avec d’autres organismes semblables. C’est ainsi que va intervenir un nouvel élément, la rime.

  1. Sans doute le vers blanc ne peut se suffire à lui-même ; néanmoins, comme nous l’avons montré ailleurs (Préface aux Vers d’un philosophe), c’est encore un vers, et qui ne manque pas d’harmonie. Glissez-le au milieu d’une page de prose, on l’y découvrira vite, comme les deux vers trouvés par Musset dans un article de Sainte-Beuve. Au contraire des mots juxtaposés sans césure et sans rythme régulier, comme certains vers qu’on propose de nos jours et que nous analyserons plus loin, sont de la prose, malgré le retour périodique d’une rime suffisante et même riche. Voici une suite de vers blancs dont chacun est tiré d’Alfred de Musset :

    Je voudrais m’en tenir à l’antique sagesse,
    Qui, du sobre Épicure, a fait un demi dieu.
    Je ne puis : malgré moi l’infini me tourmente ;
    Je n’y saurais songer sans crainte et sans espoir :
    Une immense espérance a traversé la terre ;
    Malgré nous, vers le ciel, il faut lever les yeux.


    L’harmonie de ces vers subsiste encore, quoique assurément très affaiblie. Maintenant, imaginons des vers rimes, sans césure régu-