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figure guère M. Jourdain disant, selon le rythme et la mesure : « Nicole, apportez-moi mon bonnet de nuit. » Il y avait, dans le nombre et la cadence constante des langues antiques, un peu de cette exagération méridionale qui s’épanchait également en gestes, et qui, maintenant encore, fait qu’un Italien lève les bras au ciel en disant : « Il pleut aujourd’hui, » ou les rapproche sur son cœur en disant : « Merci, madame. » Le rythme, comme le geste, est, nous l’avons vu, une conséquence de l’émotion ; il ne doit pas lui survivre, sans quoi il prend un caractère affecté. Les vraies syllabes brèves, dans une langue, doivent être celles qui n’ont pas grande importance au point de vue de la pensée ; les syllabes longues doivent être celles sur lesquelles on veut insister en lisant ou en parlant ; mais il est un peu artificiel et conventionnel de fixer d’avance et pour toujours à chaque syllabe, indépendamment du sens, une longueur déterminée et mathématique. Ce caractère conventionnel de la quantité prosodique fit qu’elle ne tarda pas à se perdre chez le peuple[1].

Pourtant la métrique ancienne obéissait aux mêmes lois générales que la nôtre ; bien plus, l’hexamètre était régi

  1. Une cause précipita sa disparition : l’accent tonique des langues anciennes tombait tantôt sur les longues tantôt sur les brèves ; de là encore quelque chose d’anormal, malgré les inimitables effets de rythme qui en étaient la conséquence dans les vers antiques. En effet, l’accent tonique est caractérisé par une plus grande intensité et même acuité de son ; or un son plus intense, plus aigu, plus accentué, demande plus d’effort ; cet effort a peine à s’éteindre brusquement, et il s’en suit une légère prolongation de toute syllabe sur laquelle porte l’accent tonique. Par compen-