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arithmeticœ ; tout au moins sentons-nous le nombre de temps qui constitue le rythme, et les rythmes qui se résolvent dans des nombres pairs ont quelque chose de plus pondéré, de plus stable, de plus pleinement harmonieux pour l’oreille que ceux qui vont par nombre impair. Aussi le vers magistral et typique des grands peuples poétiques doit être rythmé selon des nombres pairs ; tels ont été le vers sanscrit et l’hexamètre grec ou latin : tel est maintenant encore l’alexandrin français.


Après avoir posé ces lois générales du rythme et du nombre, qui s’appliquent à presque tous les systèmes métriques de l’humanité[1], nous deons en déduire les lois particulières qui régissent notre vers. On sait que, dans les langues antiques, il existait entre les syllabes brèves et les syllabes longues une différence de durée assez régulière pour que la longue lut considérée comme valant toujours deux brèves : c’est sur cette différence de durée parfaitement calculable que fut fondé le vers antique. Ce système, malgré les chefs-d’œuvre qu’il a produits, offrait des défauts très graves qui l’ont peu à peu compromis. Ces défauts, qui n’ont pas toujours été compris des amis de l’antiquité, tenaient à la nature même des langues anciennes. Elles étaient beaucoup plus rythmées que les nôtres, beaucoup plus chantantes ; or, selon les lois physiologiques, il est peu naturel, dans le langage courant, de rythmer ses syllabes et de chanter lorsqu’on n’est pas ému. On ne se

  1. Il faut excepter le vers chinois ; mais la poésie des Chinois ne peut pas faire plus autorité que leur musique.