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CHAPITRE PREMIER
LE RYTHME DU LANGAGE ET SON ORIGINE.
FORMATION DU VERS MODERNE

Les adversaires du vers lui adressent une série de reproches souvent assez graves. En premier lieu, selon nos prosateurs « naturalistes[1], » le vers ne conviendrait plus pour rendre la surabondance et la mobilité de la pensée moderne. Un beau vers, un beau poème paraissait aux anciens et aux classiques je ne sais quoi de parfait en son genre et de définitif, la seule forme capable de fixer à jamais l’idée ; mais ne comprenons-nous pas maintenant que l’idée ne peut ainsi se fixer, qu’elle est sans cesse en progrès et va brisant les moules les mieux ciselés où l’on a essayé de la retenir ? Le nom même de ποίημα, qui semble indiquer une chose créée une fois pour toutes, complète, où l’on ne puisse rien changer, répond-il bien à l’idéal de la pensée moderne ? On croyait jadis à la beauté absolue, comme on croyait au bien absolu, au vrai absolu ; de là, suivant un de nos « naturalistes, » le culte classique et

  1. Par exemple M. Zola.