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destiné, comme tous les autres, à se désorganiser lentement avec les années, à tomber en poussière. Si la poésie est éternelle, le vers le sera-t-il ? Le mètre, transformé depuis les Grecs et les Latins, bouleversé de nos jours mêmes par l’école romantique, a-t-il de longues chances de durée et de vie ? Déjà des poètes incontestés, comme Michelet, Flaubert, M. Renan, ont pu s’en passer. Autrefois, le vers régnait en maître dans la littérature ; les Grecs légiféraient même en vers ; aujourd’hui, quelle petite place il tient dans la diversité des genres littéraires ! Pourquoi le sentiment poétique resterait-il, comme il l’a été aux anciennes époques de l’histoire, nécessairement lié à une certaine forme rythmique et musicale ? En un mot, la poésie la plus haute a-t-elle besoin de la versification ?

Le problème qu’on pose ainsi n’intéresse pas moins le philosophe que l’écrivain. Il ne saurait être résolu que par une analyse vraiment scientifique du vers. Nous aimons presque tous le rythme et l’harmonie des vers sans trop savoir ce qui nous plaît en eux ; il faudrait le savoir. Il faudrait savoir si le vers n’est pas la seule forme de langage qui réponde complètement à certains états d’esprit par lesquels l’homme passera toujours, et si en conséquence le vers ne durera pas aussi longtemps que l’homme même, s’il n’est pas enfin, comme l’a dit le poète, ce


                                    je ne sais quoi de frêle
Et d’éternel, qui chante et plane et bat de l’aile.


Le vers moderne est constitué par deux éléments inséparables, d’abord le rythme ou la mesure (qui devient dans