Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

balancement des brins d’herbe, la palpitation des feuilles, la vibration des rayons, le murmure continu de la sève montant et descendant dans les grands arbres : ce bruissement de la vie en toutes choses, cette montée de la sève universelle, c’est la philosophie et la science qui peuvent, par instants, les faire deviner à notre oreille encore grossière, c’est grâce à elles que nous saisissons les richesses harmoniques éparses dans le monde et que le poète condense dans son chant ; sans elles nous ne pourrions entrevoir le véritable univers, deviner le sens de la grande symphonie, avec toutes ses dissonances jamais résolues, où le poète retrouve encore, amplifiée à l’infini, l’accent d’une voix humaine.

Il y a, semble-t-il, trois périodes distinctes dans le développement de la poésie. Nous avons vu qu’à son origine la poésie ne faisait qu’un avec la science même et avec la philosophie de la nature. Que sont le Rig-Véda, le Bhagavad-Gità, la Bible, sinon de grands poèmes métaphysiques où la vision colorée de la surface des choses s’allie à des vues profondes et mélancoliques sur l’au delà ? Les Parménide, les Empédocle étaient des poètes ; les Heraclite, les Platon l’étaient aussi à leur manière. En même temps, c’étaient des savants. De même pour Lucrèce. À une période ultérieure, une sorte de division du travail s’est produite dans la pensée humaine. On a vu des poètes (|ui n’étaient pour ainsi dire que des êtres sentants ; on a vu des savants à l’intelligence tout abstraite. Dans un avenir plus ou moins lointain peut redevenir possible l’union de l’originalité