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ter ; il importe donc de déterminer dans quelles limites et par quelle méthode l’art peut ainsi s’inspirer de la science ou de la philosophie.

Une première méthode que nous trouvons parmi les artistes contemporains, c’est celle de nos « naturalistes. » Ceux-ci affichent la prétention de chercher comme la science la « vérité exacte, » au lieu du mythe et des jeux de l’imagination, et ils croient trouver la vérité dans la réalité brute. Ils prétendent, comme dit le principal d’entre eux, « se passer de l’imagination » et même du sentiment moral, c’est-à-dire de ce qui fait la poésie, pour s’en tenir à la pure sensation. Les romantiques demandaient autrefois à l’artiste d’avoir, comme disait Th. Gautier, le « sens du pittoresque » ou de « l’exotique ; » aujourd’hui nos naturahstes lui demandent d’avoir la « sensation du réel. » On ajoute, il est vrai, que cette sensation doit être originale : une sensation originale en présence des choses, tel est, dit lui-même M. Taine, ce qui caractérise le grand artiste. — Mais, demanderons-nous, d’où vient cette originalité de la sensation ? Tient-elle seulement, comme M. Taine semble parfois le croire, à une perception plus facile, plus délicate et plus prompte que celle des autres hommes ? Non, elle s’explique en outre par une pensée plus large, plus systématique, conséquerament plus philosophique : l’originalité de la perception est dans l’intelligence encore plus que dans les sens. C’est le penseur qui fait le véritable artiste. M. Ruskin a eu raison de le dire, il y a deux classes de poètes : les uns sentent fortement, pensent faiblement et ont une vue inexacte de la vérité ; ce sont les poètes de